L'inexorable extinction des dragons des cîmes : entretien avec le glaciologue Simon Gascoin

Simon Gascoin est chercheur au CNRS depuis 2011, affecté au laboratoire "Centre d'Études Spatiales de la Biosphère" (CESBIO) à Toulouse. Hydrologue de formation, il se spécialise dans le traitement d'images satellite pour l'étude des glaciers et de leur environnement. Ça faisait longtemps qu'on voulait lui parler de cet état de l'eau qui se forme sur les plus hautes montagnes et disparaît inexorablement.

Les Passeurs : On annonce la fin des glaciers en Europe d’ici à 2050, les conséquences sur l'imaginaire collectif ne sont-elles pas encore plus importantes que les conséquences physiques (sur le cycle de l’eau par exemple)? 

Simon Gascoin : C'est vrai qu'en France et en Europe, l'impact de la fonte des glaciers sur le cycle de l'eau est souvent exagéré. Dans le monde aussi, dans une moindre mesure. J'ai travaillé dans une vallée aride au Chili, près de l'Atacama. La population locale était préoccupée par l'ouverture prochaine d'une mine d'or, qui allait creuser dans les glaciers, des petits glaciers de type pyrénéen. J'ai étudié les impacts et sans les minimiser, j'ai vu que les glaciers n'avaient pas un impact significatif sur l'approvisionnement en eau.

Je suis intéressé par les montagnes parce que ce sont nos châteaux d'eau, mais les glaciers ne sont pas seulement des ressources en eau. Il y a des écosystèmes qui en sont dépendants, comme de nombreuses autres ressources. Ce qui est clair, c'est que leur fonte inexorable est triste. Les glaciers des Pyrénées qui disparaissent font penser à Notre-Dame de Paris qui brûle, c'est un élément du patrimoine qui s'en va.

Mais communiquer sur la fonte des glaciers peut avoir des effets pervers, car si c'est fait approximativement, les arguments peuvent être retournés et avoir un effet contreproductif. Il faut être très prudent.

Quelles sont pour toi les grandes étapes de la relation des hommes aux glaciers ? De l’inaccessible à l’attraction touristique ? 

Les glaciers étaient craints jusqu'à la fin du XIXème siècle, d'autant qu'ils étaient pour certains en croissance et menaçaient des vallées. C'étaient des dragons des cîmes qui allaient avaler des villages.

Le développement de l'alpinisme, et un culte de l'exploit individuel de plus en plus marqué chez les Occidentaux, ont rendu leur fréquentation beaucoup plus recherchée. Le glacier, c'est un bon terrain pour satisfaire ce goût pour l'aventure.

En Amérique du Sud où j'ai passé un peu de temps, certains glaciers sont considérés comme des personnalités, voire comme des divinités. Des collègues en mission de carottage sur un glacier en Bolivie ont eu des problèmes avec les villageois, il a fallu qu'ils présentent des excuses et des offrandes. Même aujourd'hui, dans l'esprit collectif, les gens y sont attachés.

Ce n'est pas pour rien que la première loi au monde sur la protection des glaciers a été votée en Argentine. Les glaciers y sont inscrits dans la législation [le Argentine National Glacier Act de 2010, NdlR].

Le tourisme de la dernière chance, qui voit les voyageurs venir constater la disparition des glaciers comme la Mer de Glace depuis le Montenvers à Chamonix, peut-il avoir une utilité comme outil de sensibilisation ?

Un glacier, c'est effrayant et hostile. Je trouve intéressant qu'on puisse aller les visiter, comme ce que fait l'association Moraine dans les Pyrénées. Ça permet de sensibiliser les enfants, notamment, sans que ce soit une procession funéraire. Je pense qu'il est bon de se confronter à la beauté de l'environnement pour que plus de gens adhèrent à un certain discours de sobriété.

Voir les glaciers disparaître, c'est vrai que c'est super triste, des fois j'ai envie de penser à autre chose, surtout que, quand comme moi on bosse dans un labo environnemental, on voit qu'il n'y a pas que les glaciers, les forêts aussi...
Notre génération a été élevée dans une certaine opulence, on faisait même du ski sur les glaciers... Pour mes enfants, les glaciers qui fondent c'est acté : eux ont dépassé la tristesse. Comme nous pour les rhinocéros blancs : on n'a pas eu le temps de s'y attacher.

Pour finir sur une note positive, ce weekend j'étais dans le massif de Gavarnie, au Mont Perdu, avec des spéléologues. On se rend compte que c'est truffé de grottes englacées : on a un massif englacé, mais souterrain. Peut-être plus de glace que dans tous les glaciers pyrénéens. On est loin d'avoir tout découvert, et la beauté de la montagne survivra aux glaciers. Ça verdit et les forêts gagnent du terrain.