La croisée des chemins permanente

Avec le nouvel été (et automne) chaud et sec que nous venons de vivre, les discours autour de la situation environnementale se polarisent autour de deux pôles distincts, histoire de bien animer les déjeuners en famille. Le premier relativise fortement la gravité des phénomènes en cours (« on a déjà connu ça, on s’adaptera facilement »), quand l’autre penche pour un profond fatalisme (« tout est foutu, il est trop tard pour agir »). 

Ces « discours de l’inaction » représentent deux facettes de la tragédie dans laquelle risque de s’embourber à nouveau l’action climatique. De nombreuses personnes passent ainsi de la simple ignorance des problèmes et enjeux, ou du pur déni comme le climatoscepticisme, à une profonde apathie résultant du choc de la prise de conscience de la situation[1]

Ladite situation, en vrai, est effectivement plutôt flippante (pour ceux du fond qui n'ont pas écouté, relisez les derniers rapports du GIEC). Cependant, il y a encore de la marge avant que cela ne devienne pire, bien pire. Le groupe I du GIEC a rappelé il y a un an que l’ampleur du réchauffement climatique au cours du XXIème siècle dépend essentiellement des émissions de gaz à effet de serre présentes et futures. Le groupe II du GIEC a ensuite illustré différentes trajectoires possibles dans le résumé du rapport dédié aux impacts, à la vulnérabilité et à l’adaptation (2022)

 

Windows of adaptation

 

Sur cette figure, les engrenages représentent les choix successifs effectués par les sociétés, dirigeant l’humanité dans une direction, ou une autre. Il n’y a pas de trajectoire fixée sur laquelle nous serions jusqu’à la fin des temps. Il y a de nombreuses « croisées des chemins » possibles, lors des nombreuses étapes. La tendance peut empirer, puis être inversée grâce à une prise de conscience généralisée, ou, à l’inverse, s’améliorer d’abord, avant de repartir dans la mauvaise direction suite à du laisser-aller ou des chocs et catastrophes. Il y a d’ores et déjà des opportunités manquées, et il y en aura probablement d’autres. Il y a également, clairement, urgence. 

 Les deux positions "binaires" ne sont pas les seules heureusement, mais elles prennent de plus en plus d’espace dans les discours sur l’écologie. Surtout, en plus d’être biaisées dans leurs analyses, elles nous confinent, in fine, à l’inaction. Or, pour inverser les tendances et infléchir les courbes d’émissions de gaz à effet de serre et de destruction du vivant, il y a besoin d’action, d’énormément d’action, d’efforts soutenus maintenus pendant des années, pendant des décennies, et ils concernent tout le monde. Une éventuelle stabilisation de la situation n’aura lieu, dans le meilleur des cas, qu’au cours de la seconde moitié du siècle, et ce ne sera pas un « retour à la normale » : le climat sera bien différent et il faudra s’y être adaptés, tandis que les sociétés seront complètement transformées. 

Qu’en conclure ? Eh bien, qu’il est illusoire d’espérer pouvoir un jour proche retourner vaquer à ses activités et dormir sur ses deux oreilles suite à la mise en place de quelques mesures écocitoyennes. Il faudra beaucoup, beaucoup plus de travail pour faire face aux défis climatiques et environnementaux. Qu'il est aussi urgent d'occuper le terrain avec des discours moins binaires et plus humains: on a le droit de prendre conscience du problème depuis peu, d'être inquiets mais de ne pas savoir vraiment comment s'engager, de démarrer par ce qu'on peut, de ne pas être toujours alignés...Parce qu'en vrai c'est ce qu'on ressent tous. Et du coup, plus question de procrastiner en s'appuyant sur des raisonnements fallacieux pour justifier son inaction: il est temps de se retrousser les manches et de se mettre au taf.

 

Loïc Giaccone

[1] Et du fait que certains discours sont un peu trop exagérés/catastrophistes… Yves Cochet annonce l’effondrement pour 2028 et des milliards de morts d’ici le milieu du siècle.