"La consommation de proximité pèse énormément dans l'économie touristique, et elle est rarement prise en compte"

3 questions (enfin, 4) à...Jean Pinard

Jean Pinard, le directeur du Comité Régional du Tourisme d’Occitanie, a sa petite idée sur le tourisme, son passé, son présent, et même son futur. Esprit libre, sa parole détonne dans le discours policé des institutions et donne une vision décomplexée et engagée du tourisme.

Et il ne fait pas que parler : l’opération Occitanie Rail Tour qu’il a pilotée a réuni plus de 3 560 pass pour son premier mois de fonctionnement (du 17 au 31 mai 2023), et les billets de train à 1€ sont partis à 130 000 exemplaires par weekend. Il va nous aider à préférer le train…

 

Les Passeurs : Que faut-il pour que l’on avance sur la question des mobilités? « La région s’attelle à ça » dis-tu de l’Occitanie, c’est donc avant tout une affaire de volonté politique?

Jean Pinard : Les transports sont une compétence publique, donc le choix d'avoir plus de trains, des billets moins chers, plus de gares desservies et de nouvelles stations, ça part clairement d'une décision politique.

Après il ne faut pas oublier que l'origine du tourisme, c'est le voyage, des gens curieux qui ont été voir ailleurs. Le tourisme ce n'est pas juste la destination, quand on arrive : le voyage en fait partie. C'est pour ça qu'il faut un engagement de tous les acteurs, des hébergeurs notamment, qui doivent prendre le sujet à bras le corps et expliquer comment faire pour venir en train, aller chercher les services, dire « on est prêts à venir vous chercher à la gare ».

 

LP - On entend (notamment de ta part) que « les meilleurs touristes c’est ceux qui sont chez nous », mais ça voudrait dire quoi, que le tourisme doit être une affaire quasi consanguine? 

JP - Ce que je dis c'est plutôt que la consommation de proximité pèse énormément dans l'économie touristique, et elle est rarement prise en compte. Le plus gros volume en terme d'emploi, ce sont les restaurants, or ils sont aussi et parfois surtout fréquentés par les locaux. Je pense qu'il faut équilibrer les bénéfices entre visiteurs et visités, que toutes les infrastructures, les centres thermoludiques, les stations, qui souvent d'ailleurs sont payées en grande partie par la collectivité, soient plus accessibles aux habitants et que les bénéfices soient partagés. Et surtout il faut qu'on évalue l'économie touristique autrement que par la nuitée, qui est un très mauvais indicateur, qui ne prend pas en compte tous les habitants qui mangent le midi au restaurant par exemple. 

Le vrai débat c'est de prendre en considération l'usage du temps libre, qui se déporte de plus en plus vers le numérique, avec les abonnements Netflix et les jeux vidéo, alors que nous, notre économie commence quand les gens ferment la porte et sortent de chez eux.

Tout un pan de l'économie des loisirs glisse vers quelque chose à l'opposé de nos valeurs : pour moi, la société des loisirs, c’est que des gens, qui n'en auraient pas eu l'occasion sans le temps libre, se rencontrent, pas qu’ils s’isolent. C'est aussi pour ça que je ne crois pas au Métaverse, voir les pyramides en 3D ne changera pas le fait que ceux qui ne peuvent pas y aller n'iront pas, le divertissement digital exclut et assigne à résidence.

 

Le train jaune occitan qui sillonne les Pyrénées catalanes - @CRTOccitanie

 

LP - Comment vois-tu l'avenir de destinations internationales, comme Chamonix dans les Alpes, ou Carcassonne plus près de toi (qui ont d’ailleurs quasiment le même nombre de visiteurs annuels) qui reposent sur une clientèle lointaine et riche?

JP - J’étais à « CM on the beach » à Mandelieu et mon discours c'était justement de leur dire que des territoires ont construit leur économie sur ce modèle. Le modèle de la Côte d'Azur a été inventé par la Côte d'Azur pour la Côte d'Azur. L'erreur c'est de vouloir à toute force reproduire ça sur d'autres territoires.

L'attractivité ne doit pas se mesurer au nombre de kilomètres que tu as fait pour venir, quand tu paies ton café sur la place du Capitole à Toulouse, peu importe si tu as fait 8000 km ou 800 m. En outre, je crois à l'idée d'une solidarité nationale avec les destinations qui ont besoin de ce type de clientèle, car on a aussi besoin d'avoir des palaces à 5000€ la table. Par contre j'attends des territoires avec qui on a été solidaires qu’ils paient une taxe de séjour plus forte, de 25€ par jour par exemple. Au delà du fait que Vinci et Total doivent payer.

La croissance de l'économie touristique passe aussi et surtout par les 40% de français qui ne partent pas en vacances, et pour cela la solidarité peut aussi jouer.

 

LP - Quand tu dis que « Vinci et Total doivent payer » (« une partie de la manne autoroutière pourrait servir à financer le ferroviaire » dit JP Farandou, le patron de la SNCF) ça fait pas un peu marxiste populiste? et surtout est-ce aussi simple que ça ??

JP - Ce qui est simple, c'est ce qui est pragmatique. Il y a 2 sujets, là. 

Le premier c'est que les 2 plus gros bénéficiaires de l'industrie touristique, les pétroliers et les autoroutiers, ne financent pas le marketing des destinations, ce qui encourage les gens à prendre leur voiture, et donc à consommer leurs produits (pétrole et autoroutes). Ces entreprises se gavent des transhumances estivales et hivernales, et  ne payent pas! Ce ne devrait pas être payé par de l'argent public, c'est assez unique comme cas, il serait mieux utilisé pour aider plus de gens à partir sur les territoires.

Le deuxième point c'est que dans un système en mutation, le système dont on ne veut plus peut financer celui qu'on veut demain. On n'est pas obligé de refaire les erreurs du charbon, où on s'est dit « ça n'a pas d'avenir mais on garde les mines ouvertes le plus longtemps possible car c'est de l'emploi ». En résumé, il faudrait faire payer à la voiture ce qui doit servir au train. 

Mais ce n'est certainement pas marxiste ni populiste, c'est juste une approche systémique.