En Mode Climat : changer les lois, pour que l’industrie textile réduise son impact
Dans l'industrie outdoor, la nécessité de sortir des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) ou d’utiliser des matières recyclées est globalement assimilée par le plus grand nombre. Les alternatives sont connues, et il suffirait donc d’opérer la fameuse transition énergétique ou d’engager plus de circularité pour régler nos divers soucis.
Voici quelques exemples appliqués à l’industrie textile, dans laquelle on retrouve les vêtements d’outdoor :
- Des vêtements fabriqués grâce à des machines consommant de l’électricité issue du charbon ? Remplaçons le charbon par des panneaux solaires sur le toit des usines !
- Des vêtements en polyester, issu du pétrole ? Utilisons du polyester recyclé !
- Un faible taux de recyclage en fin de vie ? Mettons des bornes de collecte en magasin !
Des initiatives nécessaires, mais insuffisantes
Tout ceci est évidemment nécessaire, mais insuffisant. Déjà, parce que nous ne sommes pas prêts de retrouver l’abondance et la facilité d’usage des énergies fossiles. Ensuite, parce que les améliorations citées plus haut ne disent rien de la consommation totale. Le climat, la biodiversité et les écosystèmes dégradés se foutent pas mal d’une réduction relative de l’impact par produit, par collection ou par euro de chiffre d'affaires. Ce qui est crucial, c’est de réduire en valeur absolue.
Or, la dynamique de l’industrie textile est à l’exact opposé. Les améliorations « à la marge » sont légion et entretiennent le business as usual, avec notamment les plus mauvaises pratiques de la fast-fashion :
- Prix dérisoires
- Renouvellement de collections entre 5 et 20 fois par an
- Incitations multiples à consommer
Si cette dynamique n’est pas enrayée, les émissions de l’industrie du textile augmenteront de 49% d’ici à 2030 pour atteindre 5 milliards de t éq. CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles des USA (Quantis, 2021). Petit rappel : les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent diminuer de 43% d’ici à 2030 pour maintenir la hausse de la température sous les +1,5°C. Vous voyez le problème?
Nous devons donc faire différemment
C’est ici qu’intervient la notion de sobriété : modifier notre organisation en tant que société afin de réduire nos besoins énergétiques. Ces transformations ont un potentiel de réduction de nos émissions globales de l’ordre de 40 à 70% (Source : IPCC, AR6 WGIII).
« Consommer moins d'énergie rend la décarbonation plus facile ». Cette petite phrase imparable est signée de l’anthropologue économique Jason Hickel, auteur de nombreux travaux sur la décroissance et les inégalités. Autrement dit, il faut activer de manière conjointe le changement de notre modèle de société et la sortie des énergies fossiles car les deux vont de pair. Pour reprendre notre exemple de départ, les panneaux solaires pourront davantage satisfaire les besoins énergétiques de l’usine si cette dernière n’augmente pas son volume de production tous les ans.
Une autre question, plus profonde, se pose alors : que fabrique cette usine ? Des vêtements à bas prix pour la fast-fashion ou des vêtements de travail pour les chantiers de rénovation thermique ? L’utilité sociale des vêtements fabriqués peut-elle alors justifier la hausse des volumes ? D'une manière plus globale, quels rôles ont les entreprises dans la transition ? Quelle est leur capacité à remplacer des alternatives plus polluantes, à s’impliquer pour changer les lois ? On dit souvent que les entreprises doivent réduire leurs émissions, c’est vrai. Mais alors, comment considérer celles qui, en augmentant leurs émissions, réduisent largement celles des autres ? Par exemple, il serait dommage qu’une entreprise vendant des pompes à chaleur réduise ses émissions (donc son activité) alors que son rôle est majeur dans le remplacement des chaudières fioul.
Le problème avec le secteur du textile, c’est qu’il n’y a presque pas cet effet de remplacement. Pourquoi ? Car le vêtement le plus écologique est celui que l’on possède déjà. Cette phrase a beau être un peu cliché, elle est très vraie, et même déterminante pour envisager la suite de l’activité de cette industrie.
Une transformation à planifier
La course au toujours plus de l'industrie textile est donc à l’opposé de ce dont nous avons besoin pour la transition écologique. Pire, c’est un frein à la décarbonation. Et les chances pour qu'une telle transformation émane d’actions menées individuellement par les entreprises sont infimes, car à l’heure actuelle il y a beaucoup trop de concurrence déloyale. La progression des marques engagées ne freine pas l’accélération de la fast-fashion. Certains parlent même de prime au vice.
Illustration : La Mode à L’envers / Loom
N’y allons donc pas par 4 chemins, la sobriété dans le textile consiste à produire moins et consommer moins, et cela doit être organisé, planifié, politisé. Dans ce cadre général, certaines entreprises seront très affectées et d’autres tireront leur épingle du jeu pour continuer à fabriquer et vendre des vêtements durables, de qualité et qui répondent à des besoins.
Changer les lois
Ok, mais par quoi commencer ? Changer les lois ! C'est ce que tente de faire l’association En Mode Climat, qui regroupe presque 600 entreprises du secteur. L’angle d’attaque du collectif est réglementaire : il faut changer les lois pour que l’industrie textile réduise ses émissions. Forcer les marques à faire moins et mieux. Pénaliser les plus mauvaises pratiques et encourager les vertueuses.
Certains mécanismes de régulation existent déjà (filière REP : Responsabilité Elargie des Producteurs), et d’autres sont sur le point d’arriver (affichage environnemental), mais souvent, ils manquent d’ambition et ne permettent pas la réduction des volumes de production et de consommation. En Mode Climat travaille donc pour renforcer ces mécanismes et proposer au gouvernement de réelles mesures transformatives.
Illustration : La Mode à l’Envers / Loom
Regardons de plus près 2 mesures clés :
1. Un affichage environnemental ambitieux incluant la durabilité émotionnelle
La notion de durabilité émotionnelle est capitale et répond à la question : à quel point changeons-nous de vêtements parce que nous y sommes incités ? Renouvellement très rapide des collections, prix dérisoires, fortes stratégies de promotions, etc... Cette notion interroge le modèle d’affaires des marques et leurs stratégies commerciales. Il est essentiel de s’y intéresser de très près. Un tee-shirt à « faible impact » perd tout son intérêt si la stratégie de la marque est de changer son design tous les quatre matins et de le “blackfrider” pour qu’il soit surconsommé. Il ne peut donc pas être bien noté dans le cadre d’un affichage environnemental ABCDE (oui, comme les frigos !) et les consommateurs doivent en être informés correctement. C'est ici pour voir la proposition d’En Mode Climat sur ce sujet.
2. La refonte de la filière REP (Responsabilité Elargie des Producteurs)
Il s’agit d’un ensemble de nouvelles mesures permettant notamment :
- La réduction des TLC (textile, linge, chaussures) mis sur le marché français chaque année. Pour cela, des bonus doivent être prévus pour récompenser les pratiques vertueuses (vêtements durables, intemporels, etc.) et des malus pour pénaliser les mauvaises pratiques (incitations à consommer, prix dérisoires...).
- La croissance du réseau de réemploi et de réparation des vêtements en France. Réparer et faire durer les vêtements que nous avons déjà est crucial.
- L’arrêt de l’exportation de nos “vieux” vêtements en Afrique. Une pétition est en cours pour arrêter cela.
C'est ici pour voir toutes les propositions d’En Mode Climat sur la refonte de la REP.
Vous l’aurez compris, nous avons besoin d’une vraie transformation, pas d’ajustements à la marge. Cela passe par un changement des règles du jeu. C’est pourquoi En Mode Climat existe, et c’est pourquoi le mouvement a besoin d’être soutenu. N’importe quelle entreprise liée de près ou de loin au secteur textile peut rejoindre le mouvement à condition qu’elle adhère aux principes de cette charte. Et nul besoin d'être une entreprise “irréprochable” pour s'y mettre ! C’est le système entier qui doit bouger. Les nouvelles lois reflèteront la volonté de changement d’une industrie toute entière.
C’est la force d’un collectif. Tiens, ça nous rappelle Les Passeurs !
Florian Palluel