Ceux qui m'aiment prendront le train

Ce (long) article est extrait de la Revue Les Passeurs consacrée à la montagne zéro carbone, parue en Novembre 2021. Vous pouvez la commander en version papier ici. Texte : Antoine Pin

 

 

Bien avant les dameuses à hydrogène, les canons basse consommation ou l'éclairage aux LED, le sujet de la mobilité est crucial en montagne. Comme ailleurs, la réduction des émissions passe par la question de la voiture individuelle et de l'avion, avec ici un enjeu touristique qui complique encore la donne. Au-delà de mesures coercitives, d'interdiction de moteurs thermiques ou de touristes brésiliens, la mobilité en montagne doit trouver sa voie. Mais une fois qu'on a dit ça, on fait comment ?

Les données sont têtues

Le transport représente 31 % des émissions de GES en France en 2019. C’est d’ailleurs le seul secteur en France dont les émissions ont AUGMENTÉ au cours des 30 dernières années, principalement à cause de l’augmentation du trafic : distance et fréquence des déplacements, les émissions de CO2 au kilomètre ayant pour leur part très légèrement baissé. Les travaux d'Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports, mettent en avant 3 chiffres clés :

  • 51 % des émissions liées au transport concernent les déplacements individuels
  •  x4: l'évolution de ces émissions entre 1960 et 2005 
  • 87%:  la part de la voiture dans ces émissions. 

 

Ainsi, la question de la réduction des émissions liées aux transports en France est avant tout celle de la réduction de l'impact de la voiture individuelle thermique et de ses usages. C’est d’ailleurs la même chose chez nos voisins de l’arc alpin, notamment en Suisse…

Si on s’intéresse plus précisément au tourisme, on voit le poids prépondérant du transport, notamment des visiteurs étrangers. Un chiffre de l’ADEME pour la France résume bien la situation : les arrivées en avion ne représentent que 12 % des voyages, mais sont responsables de 53 % des émissions. 

 

Mobilité plurielle

En montagne, la question du déplacement est partout en filigrane, et elle recouvre des usages bien différents. Il y a ceux qui l’arpentent pour le plaisir ou la performance au travers d’une multitude de pratiques sportives. Ceux qui la traversent chargés de produits du monde entier. Il y a bien sûr celles et ceux qui y vivent, et qui encore récemment devaient au gré des saisons se déplacer d’hivernages en estives, dans un va-et-vient perpétuel entre vallées et alpages. Aujourd’hui, on décèle encore cette réalité chez les habitants et travailleurs des montagnes : descendre en vallée quotidiennement pour aller au travail ou faire ses courses, monter œuvrer en station quand on n’a pas les moyens d’y vivre, ou vivre en saisonnier.

Dans les stations de montagne, les sources d’émissions carbone liées aux déplacements semblent établies, même si l’étude de référence date de 2010 (la suivante, de 2021, commandée par la filière et dirigée par l'ADEME, ne reprend pas la segmentation avec les déplacements des locaux) : 

  • mobilité des visiteurs étrangers (44 %)
  • mobilité des résidents et travailleurs (37 %)
  • mobilité des visiteurs français (19 %)

Pour la mobilité des visiteurs, la voiture représente 54 % des émissions et l'avion 35 %.

 Ce sont donc LES mobilités en montagne qu'il incombe de décarboner, et les solutions devront répondre aux besoins et attentes des différents usagers, au rythme de la météo et des saisons.

 

Techno vs socio, deux représentations pas forcément contradictoires

La réflexion doit commencer par emprunter deux chemins parallèles, souvent présentés comme mutuellement exclusifs :

  • d'un côté une vision plutôt technologique, qui stipule que le progrès technique seul pourra libérer le déplacement des individus du poids du carbone qui l'accable aujourd'hui,
  • de l'autre une réflexion basée sur l’évolution sociétale de la mobilité des personnes, plus prompte à remodeler les usages que les moteurs.

Les vertus respectives de ces axes de travail peuvent aider à créer la synergie nécessaire à la réalisation des objectifs de réduction, mais ils semblent pour l'instant plutôt jouer dos à dos, à armes malheureusement inégales.

 

Et pour cause. Si on se penche sur la question, deux chiffres s’imposent : plus de 2 millions d’emplois sont revendiqués par la filière automobile en France, et plus de 38 millions de véhicules sont en circulation (dont 0,4 % électriques). Si on adhère à l'idée que l’innovation technologique, notamment via le véhicule électrique individuel, est la mesure adéquate, cela implique le renouvellement, la production et la vente de dizaines de millions de véhicules pour atteindre la neutralité carbone des transports individuels... De quoi laisser rêveur tout ministre de l'Économie pour de nombreuses années.

 

En parlant de rêve, ce dernier tend à se trouver du côté de la technologie. La culture actuelle favorise automobile et transport aérien dans l'imaginaire collectif. Le sentiment de liberté qu'évoque le road trip en voiture ou le départ last-minute grâce à une compagnie aérienne à un coût artificiellement bas est difficilement concurrençable. 

Le milieu de la montagne n'est pas exempt des efforts publicitaires des concessionnaires et constructeurs automobiles : il est devenu courant de voir athlètes, destinations ou évènements recevoir un soutien conséquent, et la visibilité qui va avec, de la part de différentes marques. La liberté et une certaine vision du nomadisme priment ici, et se mêlent à merveille aux images issues de nos sommets.

En face ? Les retards des trains, les avantages réels ou perçus des cheminots et l'attrait visuel tout relatif que représentent les marques de bronzage des cyclistes… 

Ainsi, pour opérer une transition des transports, il y a une bataille culturelle, voire un combat des imaginaires, à mener conjointement avec tout débat technique sur l’aménagement d’infrastructures, le développement de technologies ou taxations.

 

Visiteurs : vers un accès bas carbone aux destinations de montagne

L’avion en ligne de mire

Dans le tourisme, et en montagne aussi, l'avion pèse lourdement sur le bilan carbone d'une destination, même pour un nombre d'usagers minoritaires. Ainsi les visiteurs étrangers représentent 28 % du volume total de visiteurs en montagne l’hiver (source Domaines Skiables de France 2019), mais 44 % des émissions liées au transport (selon l’étude ADEME/ANMSM citée plus haut)... car ils sont nombreux à prendre l’avion. 

Plus de 90 % des clients de la montagne (français et européens) résident cependant à moins de 2h30 de vol des stations. Il n’y a donc aucun impératif à utiliser l’aérien pour acheminer ces visiteurs. Il convient plutôt de favoriser, voire développer de nouveau des liaisons bas carbone à l’échelle européenne. Et aujourd’hui, c’est le monde privé qui s’en occupe, comme par exemple la Compagnie Des Alpes qui a relancé la commercialisation de liaisons en train entre Londres, Paris et les grandes stations de Tarentaise. Malgré un volume limité (12 000 passagers en 2022-23), le signal est fort.
Pour les liaisons plus lointaines, il devient primordial pour certaines destinations de montagne de se questionner : peut-on continuer de capitaliser sur des clientèles qui n’ont pas d’autres options que le transport aérien ? L’impact disproportionné des émissions des clients qui seraient obligés de prendre l’avion (tant que celui-ci ne sera pas décarboné) viendra contrebalancer tous les efforts consentis sur les autres clientèles.

Décarboner passe aussi par une réflexion sur les vacanciers que l’on souhaite accueillir, et sûrement des renoncements.

 

 

Voiture or not voiture

Qu’ils soient étrangers ou français, la grande majorité des visiteurs dans nos montagnes accèdent cependant à nos vallées en véhicule individuel et thermique. Le pari sur la conversion électrique du parc automobile interroge sur la capacité des territoires de montagnes (et plus largement de tous les territoires) à se doter des équipements nécessaires pour répondre à la demande. L’Agence Internationale de l'Énergie prévoit en effet que les véhicules électriques et hybrides représentent entre 7 et 12 % du parc de véhicules en circulation en 2030... 

Plus largement, quels sont les leviers à notre disposition pour soutenir, accompagner voire accélérer le renouvellement du parc automobile français, britannique ou néerlandais ? Il nous faut trouver des solutions sur lesquelles nous avons un pouvoir ! Et à moins d’attendre et espérer, il s’agit donc de trouver comment donner les moyens aux personnes qui souhaitent se rendre dans nos vallées d’abandonner leur automobile, et combler leur imaginaire d’une montagne sans voiture.

 

Report modal

Du côté des changements d’usages, on pense plus particulièrement à deux outils principaux que sont les autocars et le transport ferroviaire. 

Quel pouvoir peut exercer le monde de la montagne sur le transport en commun et ferroviaire à travers la France et l’Europe ? L’arrêt du service Skitrain d’Eurostar à l’été 2020 (près de 25 000 passagers britanniques transportés chaque hiver, pour une économie estimée à 3 100 t éqCO2 par rapport à l’avion et un temps de voyage comparable) témoigne d'une relative impuissance. 

Les voix levées des associations et élus locaux ont suscité des réactions, de la part notamment d’opérateurs privés (comme la CDA, voir plus haut) et des services de la SNCF qui ont mis en place des alternatives depuis Paris pour remplacer cette ligne directe depuis Londres. C’est oublier une réalité partagée par Daniel Elkan, fondateur de Snowcarbon (service anglais de vente de séjours montagne couplés à des billets de train) : pour les vacanciers britanniques, la traversée de Paris entre la Gare du Nord et la Gare de Lyon est en soi une épreuve plus désagréable que peut l’être l’idée de conduire ou de prendre l’avion depuis le Royaume-Uni ! Un exemple paradigmatique de la fameuse « rupture de charge », qu’on retrouve dans les gares quand il faut attendre une navette (ou qu’il n’y en a tout simplement plus avant le lendemain), ou en station quand le logement n’est pas accessible à pied depuis le dernier maillon de la chaîne de transports publics. La fameuse logistique du « dernier kilomètre » qui peut tout changer, en bien comme en mal...

 De l’incitation…

La mission de la montagne, dans la mesure de ses pouvoirs actuels, semble donc être la suivante : rendre plus attractive la perspective de prendre le train à destination de nos vallées (quand celles-ci sont équipées en gares ferroviaires), ou l’autocar le cas échéant. Elle devra aussi imposer des contraintes à l’utilisation de la voiture, comme peuvent le faire certaines métropoles, et aussi traiter au mieux les ruptures de charges (on pense aux traîneaux et autres chenillettes qui font la navette les soirs d’arrivée à Avoriaz).

 

Dans ce cadre, plusieurs solutions peuvent être imaginées : 

  • transposer le principe des Zones à Faibles Émissions à la montagne, avec des restrictions d’accès à certaines périodes et/pour certaines catégories de véhicules
  • Inciter financièrement ou tout simplement valoriser les efforts fournis par les vacanciers privilégiant des moyens de transport moins émetteurs, comme à Ax 3 Domaines, la Rosière ou aux Arcs.
  • Décaler les jours de départ/arrivées pour augmenter les dessertes et donc la capacité de sièges en semaine sur le principe de l’initiative iséroise «Skiez en décalé ».
  • Créer un véritable pass intermodal proposant plusieurs solutions de transport comme cela peut exister en Suisse ou en Autriche avec le Postbus.
  • Et bien d’autres qui restent à inventer si on veut se donner la peine d’y penser...



… à l’investissement dans le dur.

Avec l’ouverture du rail français à la concurrence en 2020 et l’arrivée de Railcoop, coopérative ferroviaire citoyenne, les perspectives changent. Le LAMA Project, Laboratoire d'idées contribuant à la transition des modèles économiques des stations de ski, avait proposé la création d’une compagnie ferroviaire des montagnes, à tout le moins des stations de ski.

L’hypothèse de travail peut paraître incongrue, il faut un capital de « seulement » 1,5 million d’euros pour prétendre à la licence d’opérateur ferroviaire voyageurs, auquel il convient d’ajouter le prix de quelques rames de TGV (environ 35 millions par unité) ou de TER (environ 20 millions par unité pour les dernières rames hydrogène). Pour certains territoires ou gros opérateurs (comme la CDA et son Travelski Express), c’est une option économiquement viable et cohérente avec les montants des investissements envisagés pour d’autres outils (88 millions d’euros pour le regretté « Funiflaine » en Haute-Savoie).

Comment mieux maîtriser l’accès à une vallée qu’en prenant le contrôle d’une partie de son trafic ferroviaire ? On devient à même de proposer un service qui nous ressemble, avec des fréquences et horaires bien spécifiques, une tarification adéquate, un aménagement des wagons modulable en fonction des saisons pour mieux refléter la diversité des pratiques et insuffler l’esprit montagne dès l’embarquement. Une telle compagnie ferroviaire aurait également la capacité de déplacer une partie du fret autoroutier dans ses wagons, aidant ainsi à coordonner l’acheminement des approvisionnements nécessaires aux différentes activités présentes sur son territoire…

 

Il est intéressant à ce sujet de se rappeler de l’époque où les grandes compagnies de chemins de fer, comme la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée et la Compagnie du Midi, ont contribué à créer et développer dans les Alpes comme dans les Pyrénées des stations « climatiques », afin d’augmenter l’attractivité de leurs lignes et par là même leur chiffre d’affaires. Certes l’exploitation des grands hôtels et autres infrastructures d’accès comme la crémaillère du Revard - puis le téléphérique qui l’a remplacée - était déficitaire, mais on pouvait considérer que cela entrait dans leurs frais de publicité (1) 

À l’inverse, on pourrait ici imaginer que le transport permettant d’accéder à nos destinations ne trouve pas forcément de modèle économique en propre, le rail jouant ici un rôle de « service public », de facilitateur et vecteur d’attractivité pour l’ensemble de l’offre touristique se trouvant en bout de ligne (qui devrait du coup participer pleinement à financer cette infrastructure). Souhaitons à ce possible renouveau du rail qu’il trouve des vecteurs aussi puissants pour l’imaginaire que les belles affiches publicitaires de Roger Broders, Paul Ordner ou encore Henry Reb.

 

L’ascenseur valléen et le « dernier kilomètre"

Projets-providence (ou présentés comme tels), les « ascenseurs valléens » (ces remontées qui font le lien entre le bas de la vallée et les sites de villégiature) pourraient (re)voir le jour avec comme argument principal la réduction des émissions liées au transport des voyageurs. Bien que les intentions soient (sans doute) louables, et que ces installations joueront certainement un rôle prépondérant pour la mobilité du futur en montagne, le constat actuel est à minima en demi-teinte à la suite des deux observations sommaires, partagées notamment par l’enseignant-chercheur Éric Adamkiewicz :

  • L’inadéquation entre le nombre de places de parking de ces installations et le nombre de lits en station. La Plagne par exemple propose dans son projet d’ascenseur valléen un parking de 500 places pour une offre globale de 53 000 lits contre 12 000 places prévues pour le projet FuniFlaine. 
  • Le manque de connexion (physique et/ou horaire) avec les gares alentour. Même à Bourg St Maurice/les Arcs, qui fait figure d’avant-garde en termes d’aménagement mobilité avec sa gare TGV et son funiculaire, ce dernier termine son service les samedis d’arrivées avant que les derniers trains n’arrivent en gare.

Un ascenseur valléen n’entre en jeu que sur la dernière partie du parcours des clients, et tente de répondre à la problématique du dernier kilomètre, celui à parcourir une fois arrivé en gare pour rejoindre la destination finale. Dans une étude mobilité de 2021, G2A Consulting, cabinet d'études spécialisé dans l'analyse de fréquentation touristique, rappelait entre autres que la distance moyenne parcourue par les Français pour venir en vacances à la montagne en hiver est de 455 km. Si ces installations peuvent donc avoir leur place dans le futur des mobilités en montagne, c’est plutôt pour résoudre les enjeux liés à la mobilité locale.



Repenser la mobilité du quotidien en montagne

Car une autre vertu des ascenseurs, c’est de désengorger les routes dans les territoires, les rendant praticables pour les habitants, et réduisant les émissions et la pollution atmosphérique locale. Ils peuvent même être envisagés comme un outil utile à la population résidente quand les horaires sont pertinents : ouvrir assez tôt et fermer assez tard pour les travailleurs et fêtards, fonctionner à longueur d’année et être financièrement attractifs, avec un parcours pensé pour la desserte locale.

Cette utilisation locale doit être prise en compte, ainsi que d’autres situations, pour ne pas oublier l’éléphant dans la pièce : la part des émissions dues au transport local, qui s’élève à 37 %, soit deux fois celle des visiteurs français. Pas de surprises, c’est l’utilisation de la voiture individuelle et thermique qui plombe le bilan. 

 

Avant d’aborder des solutions de pure mobilité, ce sont des questions en lien avec la qualité des milieux de vie qui se posent: 

  • Les services du quotidien sont-ils assez présents et abordables dans nos communautés de montagne pour pouvoir vraiment se passer de la voiture ? 
  • Où sont les institutions scolaires, antennes médicales et épiceries ?
  • Les habitants peuvent-ils se loger près de leur lieu de travail ? Clairement sur un nombre croissant de territoires ce n'est plus le cas, à cause d'une pression foncière qui a explosé.
  • Quand ils existent, ces services sont-ils encore ouverts quand les vacanciers quittent nos montagnes ? 

 

C’est une réalité pour nombre de nos territoires d’altitude, les commerces et commodités de tous les jours sont parfois absents et uniquement concentrés dans les bas de vallées. Il est aussi courant de voir les services de transport en commun arrêter leur ronde en dehors des périodes touristiques.
À la topographie capricieuse s’ajoute donc un contexte que nous avons nous-mêmes contribué à créer et qui semble cimenter l’automobile comme solution unique pour les déplacements quotidiens dans ces territoires vallonnés. 

L’éléphant dans la pièce : la part des émissions dues au transport des locaux, qui s’élève à 37 %, soit deux fois celle des visiteurs français.

 

 

Il existe des initiatives qui tentent de pallier la situation. On pense notamment aux différents services de covoiturage spontané qui parsèment nos massifs et qui tentent d’offrir la possibilité aux habitants qui le souhaitent de se déplacer d’arrêt stop en arrêt stop. Outre des prospectus, une page web et l’installation de quelques panneaux pour un coût relativement modique, ces réseaux sont facilement implémentables dans toute politique de mobilité territoriale. Ils représentent cependant le symptôme principal de la situation des mobilités en montagne et de leur futur : un manque collectif de vision, d’imaginaire et d’ambition. 

Comment peut-on mettre face à l’immensité du problème une solution si anecdotique et aléatoire (bien que vertueuse) que l’autostop ?

À tout le moins, si on s'appuie sur l’autopartage, les territoires doivent investir dans des solutions qui permettent de mutualiser et partager en nombre les trajets des habitants, mettre en place des dynamiques, outils, politiques voire partenariats stratégiques avec les nouveaux acteurs de la mobilité qui incitent les habitants à partager l’intégralité de leurs déplacements plutôt qu’aller se poster au petit bonheur la chance à des arrêts à ciel ouvert. 

 

@David Malacrida

Les temps changent…

Partout, et en ville notamment, les usages et les visions bougent. Le vélo n’est plus un sport mais un moyen de locomotion. La possession d’une voiture n’est plus un objectif mais une contrainte. Qu’en est-il chez nous ? Quelle place donne-t-on aux mobilités alternatives dans l'espace public en montagne ? On pourrait par exemple considérer le vélo comme un outil de mobilité et non pas uniquement comme un équipement sportif, en s’inspirant d’usages qui sont en train de changer en milieu urbain et périurbain, dans toute l'Europe. Les usagers de la montagne voudront retrouver ces « standards » une fois sur place... 

Un rapide regard au Plan Avenir Montagnes du gouvernement français, annoncé en 2021, témoigne de la situation. Le volet Mobilité ne mentionne pas une seule fois les mots « train » ou « ferroviaire ». À part les ascenseurs valléens, nommément cités, pas de parti pris : on parle de solutions de « multimodalité », de « transports collectifs réguliers », de « solutions de mobilité inclusive ». Simple volonté de ne pas préempter des solutions toutes faites qui seraient inadaptées ?

Et si nous manquions tout simplement d’ambition, voire d'imagination ? Saurions-nous renouer avec les plans fous des premiers bâtisseurs des stations de montagne, à propos de mobilité ? L'énergie mise hier sur l'aménagement des stations doit porter en premier lieu sur leur accessibilité, c'est véritablement là que se joue l'avenir.



On pourrait par exemple imaginer un ensemble de municipalités dans lesquelles la voiture individuelle n’existe plus, disparue au profit d’un réseau partagé d’automobiles qu’on emprunte comme un livre à la bibliothèque (ou comme feu le système Autolib à Paris !). Au lieu de devoir se rendre dans les magasins en vallée, on pourrait envisager des épiceries roulantes qui font le déplacement vers nos villages et hameaux, comme cela a toujours été le cas dans certaines vallées, et plus récemment de nouveau en Tarentaise, dans le Jura ou les Hautes Alpes. On nous promet l’automatisation de nos voitures, mais quitte à aller dans cette direction, autant mettre cette avancée technique au service du transport collectif sur des parcours évolutifs en fonction de la demande. On pense par exemple aux navettes du constructeur Bertolami, autonomes à Crest dans la Drôme ou encore à Val Thorens.

De telles navettes pourraient rayonner autour de parcours desservis par les ascenseurs valléens. Ces derniers seraient construits pour être physiquement et logistiquement connectés et synchronisés aux trains de la fraîchement lancée MountNCF qui circuleraient jour et nuit, mêlant fret, voyageurs et travailleurs ayant besoin de sortir des vallées.
La MountNCF se distinguerait notamment par ses aménagements novateurs en termes de stockage de vélos, ayant été rendus nécessaires par la création des véloroutes qui sillonnent nos territoires. On retrouverait sur ces dernières une diversité de véhicules à pédales, vélos musculaires ou électriques, des rosalies tout terrain et à l’épreuve de la météo, des vélos-cargo pour les artisans ou des vélos-bus à destination des écoles. Entre le ski, le snowboard, le VTT, le parapente, la marche, le trail et toutes ces façons que l’on a de se déplacer en montagne, comment ne pas se laisser prendre à rêver à tout ce qui pourrait remplacer nos voitures, en montagne encore plus qu’ailleurs ?


On a pu voir par le passé qu’un transport inventé pour la montagne (le câble), pouvait apporter de nouvelles réponses aux enjeux de mobilité urbaine. À l’inverse, le futur de la mobilité s’invente déjà ailleurs, dans les villes qui ont adapté nos téléphériques à des enjeux du quotidien, dans les pays émergents, qui sautent directement dans de nouveaux usages sans passer par la case transition, auprès des plus jeunes générations qui estiment ne plus avoir besoin de leur permis de conduire ? 

Pour sortir des freins, des contraintes et des écueils, il faudra faire le pas de côté qui permet de modifier la perception : si on repense la mobilité non pas comme un temps perdu, interstitiel ou utilitaire mais comme un moment de la vie, en continuité d’espace et de temps, où l’on interagit avec d’autres, avec l’environnement qui nous entoure, où l’on pourrait bouger, se cultiver, se détendre, aider, s’émerveiller… de nouveaux horizons s’ouvrent, et tout ne semble pas si compliqué. Surtout en montagne, où s’émerveiller des paysages et du temps long est si facile.

 

 

(1) François Fouger, « L’importance des sociétés de chemin de fer dans le développement de la première station de ski française, le Mont-Revard », In Situ 4 | 2004.