3 questions à... Nicolas Moreau, directeur adjoint Enedis Isère

Nicolas Moreau est ingénieur Télécom Paris d’origine, et directeur adjoint de Enedis Isère. Il porte un regard d’expert sur les problématiques d’énergie en montagne, et nous éclaire en quelques mots sur sa vision de la transition et la spécificité des territoires qu’il connaît bien. 

 

 

Les Passeurs : quels sont pour vous les grands enjeux en terme de sobriété énergétique en montagne ?

Nicolas Moreau : Le sujet essentiel est la rénovation du bâtiment et des modes de chauffage, dû à des constructions en masse à une époque où on ne comptait pas trop la consommation d'énergie. Il y a donc des logements mal isolés et chauffés pour beaucoup au fioul. Ces logements étaient prévus pour une utilisation saisonnière, avec ce que ça implique en termes de réflexion dans leur construction et en particularité leur isolation. La rentabilité de leur rénovation est compliquée à trouver car la plupart ne sont pas habités à l'année, et pour des mêmes coûts fixes, on a des équilibres économiques très différents. 

Pour remplacer le fioul, le gaz n'a pas le vent en poupe, mais quand il y a le réseau ça peut être une solution, par contre quand il n'y en a pas c'est compliqué. La solution pompe à chaleur se fait beaucoup sur du neuf, elle est particulièrement adaptée pour du collectif, mais pas évidente à mettre en œuvre sur de la rénovation. Les réseaux de chaleur sont très adaptés, même à taille réduite, surtout pour les bâtiments prévus en chauffage collectif. C'est ce qui avait été mis en avant pour le projet Chamrousse 2030 par exemple, avec des pompes à chaleur et de la production d'électricité. Il y a aussi l'exemple de BIOMAX à Grenoble, qui est une centrale de chauffage urbain produisant aussi de l'électricité. C'est très moderne comme approche mais ça pose la question de l'utilisation raisonnée du bois. Si on veut construire au bois, chauffer au bois, etc. il y a des limites qu'on ne peut pas dépasser.


P : y a-t-il une spécificité de la montagne en termes d'énergies ? Le territoire est moins riche en pétrole que les sables de la péninsule arabique mais il a ses richesses, comme le soleil, et bien sûr l'eau?

NM : La spécificité de la montagne en termes d'énergie est d'abord historique avec la houille blanche, dont on retrouve de nombreux vestiges en Isère et en Savoie. Aujourd'hui il y a trois grands axes évidents : 

- l'éolien qui est très peu développé en montagne, avec des projets mais peu d'appétence localement, et peu de promoteurs. Il y a de plus une prime majorante en montagne, dans le sens ou l’éolien y est plus compliqué à développer qu’en plaine, il y a peu de chances de voir un séisme sur ce secteur à moyen terme. Car ce n'est pas forcément la zone la plus ventée, l'accès est difficile aussi bien pour l'installation, l'entretien ou l'acheminement. Les Suisses sont en avance sur ce secteur.

- le solaire, je ne vois aucune raison que ça freine. C'est particulièrement adapté sur les zones déjà anthropisées et les moins esthétiques. Les centrales solaires sur lac se développent notamment, avec plusieurs mégawatts de puissance, le seuil où ça devient rentable est élevé. On a vu des expériences sur le lac d'Annecy, avec des panneaux qui laissent passer la lumière. L'autoconsommation solaire est à mon avis quelque chose qui va se développer et qui est très intéressante, surtout quand on est loin des réseaux, comme par exemple pour les refuges. S'il y a du réseau à proximité, le modèle français (solidaire, payé à 40% par l'ensemble des usagers) fait que le raccordement est plus intéressant. Les usagers suivent leur conso et deviennent un peu plus « experts » sur le sujet.

- l'hydroélectricité n'est pas au bout de ses développements. La pico hydro (turbines de quelques watts à quelques centaines de watts) n'a pas des puissances révolutionnaires, et affronte aujourd'hui des barrières qui viennent se mettre entre les idées et les réalisations, encore plus après ce qui s'est passé récemment à Sallanches, où la petite centrale hydroélectrique va peut être devoir être démontée suite à un procès avec FNE. Ça refroidit sérieusement les entrepreneurs sur ce type de projet. Au-delà des puissances qui ne sont pas démentielles, ici encore, comme pour l'éolien, on se heurte à l'acceptation sociale. Cet hiver on a surtout vu l'importance des STEP, ces « batteries à eau », qui peuvent permettre d'envisager une augmentation du volume, mais il faudrait alors envisager de noyer des zones habitées, et ce qu'on a fait il y a 60 ans avec les barrages n'est plus acceptable aujourd'hui.

 

P : Quel est le potentiel de création d'énergie en montagne comparé à des régions qui ont su s'équiper récemment, pour produire plus/mieux?

NM : Il n'y a pas de solution unique par territoire, mais l’avenir énergétique en montagne passe par deux phases : 

  • une partie qui concerne la puissance du réseau
  • une partie d'équilibres locaux, avec des mailles beaucoup plus fines

C'est cette dernière qui me paraît importante à souligner, avec des incertitudes sur la vitesse à laquelle ces équilibres vont se développer. Cela permettra d’avoir des stocks plus réduits, avec un rôle différent, et des puissances moins importantes car très locales.

En montagne on a du dénivelé avec des réseaux d'eau, c'est un avantage, même si c'est une ressource qui se partage avec de nombreux usages.

Ceux qui s'en sont le mieux sorti, paradoxalement c'est souvent un rattrapage. Ainsi le premier département français en termes de solaire en autoconsommation, c'est l'Isère. Quand on a développé le solaire, ça s'est fait d'abord dans les départements du sud et du nord. Les évolutions tarifaires ont ensuite favorisé l'autoconsommation, et l'Isère est arrivée après et a développé ces pratiques qui sont très vertueuses car elles encouragent à consommer mieux. 

On a besoin de cette prise de conscience autour des consommations énergétiques. On l'observe, qu'elle soit subie ou volontaire, sur les données des particuliers. Il est d'ailleurs frappant de voir les évolutions quand on donne accès à l'information, l'ADEME a montré que les réductions vont au delà des 10%.



Si le sujet vous botte, vous pouvez retrouver dans le numéro 2 des Passeurs, La montagne zéro carbone, mode d'emploi, un dossier sur les énergies renouvelables réalisé par Noélie Coudurier, ainsi qu'une approche de la rénovation énergétique dans les méga copros d’altitude par Pascal Lenormand.